La France tranquille de Olivier Bordaçarre (Fayard noir. 18 €)
Nogent-les Chartreux, dans la
Beauce, entre ville et campagne. Petite vie tranquille et tristounette. C'est
le 1er septembre. Ce samedi soir, on dort sur ses deux oreilles.
Pour combien de temps ? « On
s'était rincé l'œil au divertissement télévisuel du samedi soir à
quatre-vingt-dix-huit pour cent de matière grasse - les miraculeux deux pour
cent de matière grise résiduels étant l'œuvre de l'ultime fragment d'humanité
des « stars » invitées : chanteurs has-been tartinant les
écrans plats de leur bêtise et improbables mannequins, la peau plus tendue qu'une
baudruche, échouant à faire croire à leur retour sur scène. Le présentateur
vedette s'était une fois de plus déshonoré à coups de galéjades
d'avant-guerre : le vichysme des chiens de garde est immortel. Mais le
somnifère cathodique avait fait son effet et la ville en écrasait ferme
derrière le triple vitrage. »
Le ton est donné !
A travers la chronique de cette
ville moyenne de province, c'est le portrait d'une France tranquille avant la
crise de nerfs !
Il est vrai que les affaires ne
marchent plus très fort dans la région. L'usine de conditionnement de poulets
va être délocalisée, les commerçants du coquet centre ville ferment les uns
après les autres. Il n'y a que les
patrons de bistrots qui s'enrichissent. A la fois confesseurs et attiseurs de
haine contre les responsables - très mal définis - de la crise, ils savent
pousser à la consommation et arroser les gosiers en feu. Brèves de comptoirs et
philosophie de bistrot... Ambiance morose. Alors quand un criminel s'en
mêle ! Un premier crime odieux. Puis un deuxième, tout aussi ignoble.
C'est qu'on s'impatiente. On ne
fait pas confiance à la gendarmerie locale que dirige le commandant Paul
Garand. « Flic solitaire malgré lui,
à deux doigts de la dépression caractérisée, soupe au lait et susceptible, il
suivait les enquêtes plus qu'il ne les menait. » Il a 51 ans. Son
dernier vœu : atteindre tranquillement la retraite, récupérer sa femme qui
l'a quitté pour un plus beau et riche que lui mais avec laquelle il correspond
chaque semaine, retrouver des plaisirs à partager avec son fils. Pendant du
flic alcoolique américain courant, lui est boulimique, énorme. Il s'empiffre de
bouffe bien grasse et hyper calorique. Une sorte de lent suicide à coups de
pizzas et autres sodas bien sucrés. Mal vu par sa hiérarchie, méprisé par la
population, on ne peut pas dire qu'il se lance dans cette enquête avec
enthousiasme. D'autant plus que la fièvre monte. On montre du doigt les
suspects habituels : jeunes, bronzés, marginaux, débiles, gitans, « ces relégués aux confins de la cité, dans les
cases prévues à cet effet. »
Le vernis des convenances craque.
La peur s'immisce dans les têtes. Un sale instinct bien chouchouté par les
hommes politiques populistes. Et quand elle explose, la peur, la petite ville
est en vrac, ravagée. Elle montre son vrai visage, celui d'une pourriture comme
la pourriture qui envahit les trottoirs depuis que les éboueurs ont décidé
d'arrêter de travailler à l'aube dans la crainte qu'ils ont de croiser le
tueur.
L'intrigue et le suspense, dans cette histoire bien noire, nous
captivent. On songe au néopolar français des années soixante-dix, aux polars
sociologiques qui ont fait son succès. Olivier Bordaçarre joue avec les codes,
les transgresse, les manipule. Et tout ça dans une logorrhée célinienne
jubilatoire. La narration est bouleversée : anticipation, changements de
point de vue abrupts, discours intérieurs impétueux, dialogues alertes...Un très
grand roman noir.
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